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Textes inédits issus du catalogue 30 ans


Métailié, c'est toi?
Pascal Didier
Représentant de la Diffusion Seuil*



“Si avant de mourir, j’ai envie de poser au moins une fois mes pieds sur le sol de la Patagonie ou de traverser dans un sens ou dans l’autre le désert d’Atacama, c’est la faute à Luis Sepúlveda ou à Hernán Rivera Letelier. Mais si ces deux écrivains m’ont entraîné dans leurs pas, dans leurs pages et dans ces contrées-là, la responsabilité première de mes rêves d’ailleurs incombe à une éditrice dont les yeux verts reflètent si bien la passion et le feu qui troublent le regard de bien des passeurs de textes.
Si le rôle d’une éditrice est d’entraîner le lecteur sur des chemins qu’il n’aurait peut-être pas empruntés et de l’inciter à faire le tour du monde au détour de quelques phrases ou d’une simple virgule, alors AMM peut être fière de son travail et de son entreprise.
30 ans déjà qu’une salamandre noire escalade ainsi les murs de quelques bibliothèques – et la mienne, forcément – ouvertes sur des littératures d’ici, d’ailleurs et de bien plus loin, sur des langues nordiques ou des accents des Sud, sur des histoires et des mots nés au creux des soleils ou au cœur des hivers de tous les mondes possibles du bout du monde.
Mon histoire avec AMM commence à mi-parcours de l’histoire de sa maison d’édition.

J’étais à l’époque un libraire débutant, débarqué presque par hasard dans ce métier et embauché par seule passion des mots et des écrivains, découvrant un monde que je ne connaissais que par ce parcours d’auto­didacte qui me poussait adolescent à fouiller dans toutes les librairies que je croisais pour feuilleter ou acheter les livres publiés par Éric Losfeld, François Maspero ou Christian Bourgois. Sans savoir ce que serait un jour mon itinéraire, mon attachement aux livres était marqué par l’intérêt porté au travail d’un éditeur. J’accordais déjà une importance particulière au nom de l’éditeur et ma condition de libraire allait très vite renforcer cette curiosité pour ceux et celles qui, en engageant parfois leur propre nom, transmettaient le travail d’un écrivain et construisaient finalement – à travers leurs choix littéraires – ce qu’on pourrait presque considérer comme leurs « Œuvres com­plètes » à eux : leur catalogue.
J’étais donc libraire et je prenais plaisir à écouter les représentants me parler des livres qui allaient sortir et s’enthousiasmer parfois pour un texte ou un autre. Je me souviens de ce jour de 1992 et de ce représentant qui m’a dit : « Il faut que tu lises Le Vieux qui lisait des romans d’amour. » Je me souviens du jour où j’ai ouvert une enveloppe matelassée qui arrivait des Éditions Métailié et découvert le livre de Luis Sepúlveda avec sa couverture inoubliable et la mention qui précisait que la traduction était d’un certain… François Maspero. Je me souviens avec émotion de mon premier voyage à El Idilio et de ma première rencontre avec Antonio José Bolivar Proaño. Nous nous sommes souvent revus avec le Vieux. Le livre est toujours là, posé contre une des briques de ma bibliothèque, le papier un peu jauni, quelques pages cornées et des extraits marqués au stylo noir – ces extraits que j’aime relire parfois à voix haute –, et sur la page de garde, à l’encre bleue, la dédi­cace de Luis Sepúlveda.
C’était, avec Le Vieux qui lisait des romans d’amour, ma première véritable incursion dans le catalogue des Éditions Métailié. Ce livre m’avait mis l’eau à la bouche et je me disais qu’une éditrice qui publiait un roman pareil avait forcément d’autres choses à me faire lire. J’ai alors commencé à suivre les pas de la salamandre noire, à me laisser guider par les choix d’AMM et à décou­vrir ainsi d’autres littératures. En devenant libraire, en devenant un lecteur un peu plus exigeant, je me suis aperçu que le premier regard que je posais sur les livres était toujours un peu plus la recherche de ce que j’appellerai la « marque de fabrication ». Sur les couvertures des livres – et plus que jamais aujourd’hui que je suis représentant d’éditeurs –, tout autant que le titre de l’œuvre ou le nom de l’écrivain, je cherche ici la salamandre, là des initiales, un arbre ou une maison, ailleurs une étoile bleue ou un patronyme. Et c’est cette passion pour ceux qui font les livres qui m’a donné très vite envie de passer de l’autre côté et d’être au plus près de ce travail-là. Quand je suis dans un restaurant, j’aime être assis pas très loin des cuisines et sentir l’agitation et l’effervescence créatrice du lieu. Devenir représentant d’éditeurs était le prolongement évident de mon parcours professionnel dans le livre pour être là aussi assis pas très loin des cuisines.
Avoir à défendre le catalogue des Éditions Métailié comme celui de quelques autres éditeurs dont j’appré­cie le travail est quelque chose d’important. Quand j’entre en librairie, quand je viens – comme ce repré­sentant qui m’a parlé un jour du Vieux – parler moi aussi des livres à mes libraires, je suis la voix de l’édi­teur, de mes éditeurs, leur porte-parole, et ces libraires que je côtoie pour certains depuis maintenant pas mal d’années savent que je vis ça comme un engagement. J’aime entendre ainsi ces mots dans la bouche des libraires parfois : « Tel éditeur, c’est toi ? » ou « Métailié, c’est toi ? ». Et sans attendre la réponse qu’ils connaissent, de me dire qu’ils viennent de découvrir ou de lire tel ou tel écrivain ou un livre précis, et qu’ils ont aimé. Et il y a toujours un(e) libraire quelque part pour me reparler du Sourire étrusque, de Luz ou d’Anna Petrovna.
AMM, c’est moi quand j’entre en librairie. Comme je suis aussi un peu de Tristram, de Bourgois, de Minuit, de Zulma, de Phébus et de quelques autres. Et les kilomètres parcourus toute une année, de librairie en librairie, pour colporter ces livres – j’ai près de mon bureau un dessin de Cabu où il m’a caricaturé en « colporteur de livres » et j’aime bien cette dénomina­tion –, sont finalement un extraordinaire périple et il est formidable, ce métier de représentant – représen­tant d’éditeurs, j’y tiens – où on peut dire à chaque début de semaine ou de programme littéraire : « Je pars en tournée » ou « Je pars en voyage ».
A AMM qui m’a demandé d’exprimer ici ce qu’était un éditeur – et précisément ici une éditrice –, j’ai envie de répondre qu’un éditeur, c’est quelqu’un qui nous fait voyager loin, dans des langues ou dans des pays où on n’ira peut-être jamais, et qu’un éditeur, c’est aussi quelqu’un pour qui on prend plaisir à voyager loin, à prendre la route sous la pluie ou dans la neige, à s’éloi­gner des siens quelques soirs, à descendre dans des hôtels et à feuilleter des jeux d’épreuves le soir seul à une table de restaurant. Peut-être qu’un jour, si je m’amusais à additionner tous les kilomètres parcourus pour parler des livres, je m’apercevrais que j’ai fait le tour du monde. Ma route passerait par tous les terri­toires croisés dans les livres que j’ai aimés, qui m’ont marqué et que j’ai partagés avec mes libraires ou avec d’autres passeurs de textes. De Luis Sepúlveda à Evelio Rosero, en passant par Jim Grimsley, Santiago Gamboa, Mario Delgado Aparaín, Elsa Osorio, James Meek, Arnaldur Indridason, Massimo Carlotto, Jean-Baptiste Baronian ou Bernard Giraudeau, il y aurait de sacrés beaux passagers – de cette si petite et si grande mai­son d’édition – dans cette passionnante traversée littéraire et humaine.
Partager ce voyage avec les libraires et les lecteurs, c’est à ça que s’attelle AMM depuis 30 belles années et le travail du représentant est de participer avec ses mots, son regard et ses enthousiasmes à cette aventure-là.
Je n’ai pas lu tous les livres publiés par les Éditions Métailié et n’aurai probablement jamais le temps de le faire. Mais je sais que si demain je devais partir sur une île déserte ou m’envoler pour la Patagonie, il y aurait forcément au fond de mes bagages quelques sala­mandres accrochées sur des livres.”


* Représentant de la diffusion Seuil dans l’est de la France depuis 1995, Pascal Didier collabore à Parking de Nuit sur France Inter et à l’hebdomadaire La Semaine, et intervient régulièrement dans des formations de futurs libraires ou bibliothécaires.



2 commentaires:

Anonyme a dit…

"AMM, c’est moi quand j’entre en librairie. Comme je suis aussi un peu de Tristram, de Bourgois, de Minuit, de Zulma, de Phébus et de quelques autres"

Quelle modestie ...

sur les traces de notre enfance a dit…

Que je partage avec vous...
Quelle belle et grande famille nous formons !
Anne