Free Blog Counter

Textes inédits issus du catalogue 30 ans



Des éditeurs et autres faunes merveilleuses
Paco Ignacio Taibo II



J’ai eu autrefois en Pologne un éditeur qui avait toujours le nez très rouge et qui buvait de la vodka comme on se jette sur un ballon d’oxygène. Il me signa un contrat pour un roman et les années passèrent sans que le livre sorte, que l’avance soit payée ou que rien ne se passe. On me raconta qu’il était mort d’un infarctus dans une réunion d’auteurs de romans policiers à Berlin. Je pris sentimentalement congé de mon éditeur et considérai le livre comme perdu.
Quelques mois après, à Prague, une femme qui buvait de la vodka comme du Coca-Cola arriva à une rencontre de l’Association internationale des auteurs de polar. Elle avait le nez très rouge et, si j’avais parlé polonais, je l’aurais trouvée très sympathique. Elle s’approcha de moi en parlant russe et, avec l’aide de la traduction de Justo Vasco, elle me dit qu’elle était la veuve qui avait hérité des contrats de son mari et qu’elle pensait publier mon livre. Je lui dis que j’étais ravi, qu’elle m’envoie l’avance et en avant.


Les années ont passé. Que je sache, le livre n’est jamais paru, l’avance n’est jamais arrivée et chaque fois que je vais en Europe de l’Est, j’espère rencontrer un couple de jeunes gens au nez rouge, héritiers de l’héritière et qui veulent publier mon livre.
Quand on me demande pourquoi je n’ai pas de livre publié en Pologne je dois raconter cette histoire. Ce n’est ni la meilleure ni la pire de mes nombreuses histoires d’éditeurs.
J’ai eu un éditeur japonais qui m’envoyait des lettres de quatre pages sans interligne demandant des précisions pour la traduction. À la deuxième lettre je lui ai suggéré de parler avec le concierge de l’ambassade mexicaine à Tokyo, il allait résoudre comme ça 90 % de ses questions sur le texte. Répondre à trois cents questions, c’était pour moi presque recommencer à écrire le livre et j’avais d’autres projets. J’ai essayé de faire passer la blague avec amabilité ; ça a semblé marcher car les lettres se sont arrêtées.
Des mois après, le livre est arrivé, je l’ai mis sur une étagère et je l’ai oublié jusqu’au jour où un sociologue mexicain marié avec une Japonaise est venu chez moi à Mexico, je lui en ai offert un exemplaire. Il l’a feuilleté et m’a dit soudain :
– Dis donc, pourquoi l’éditeur remercie le concierge de l’ambassade mexicaine pour sa collaboration ?
Mais mon histoire préférée, c’est la russe. Un jour un fax est arrivé d’Union soviétique (c’était avant le mail) me prévenant et me demandant d’en informer Donald Westlake, qu’une édition pirate de nos romans était mise en circulation avec un tirage d’un million d’exemplaires. J’ai transmis le message à Donald qui m’a raconté que c’était la deuxième fois que cela lui arrivait.
Quelques mois plus tard à un congrès à Moscou, j’ai demandé à mes amis russes si on pouvait tirer quelque chose de cette affaire.
Arkadi m’a raconté que la maison d’édition était célèbre parce qu’elle changeait de nom tous les ans, ne payait pas ses dettes et renaissait sous un nouveau nom, à la même adresse et avec les mêmes magasins. Vive Sir Francis Drake ! Mais on pouvait quand même faire quelque chose.
C’étaient les premiers temps de la Perestroïka et mes amis publiaient un hebdomadaire à succès qui avait souvent de graves problèmes avec les mafias et ils étaient armés. Nous sommes partis avec deux armoires à glace qui travaillaient au département expédition de la revue. Ma maison d’édition pirate favorite s’appelait maintenant Nouvelle Nouvelle Russie. C’était un hangar immense plein de caisses de livres avec au fond un étage où on montait par un escalier en colimaçon qui grinçait.
Arkadi m’avait fait la leçon :
– Si je t’appelle Taibo, tu fais non avec la tête et tu dis Niet ; si je t’appelle Paco tu fais oui avec la tête et tu dis Da.
Je répétais les consignes dans ma tête pour ne rien faire foirer. Nous nous sommes retrouvés devant un grand bureau où un homme de cinquante ans, le front barré d’un seul sourcil et avec des poils qui lui sortaient des trous de nez, nous regardait d’un œil torve.
Arkadi poussa deux cris, donna un coup de poing sur la table et m’interrogea.
– Paco ?
Da, da, ai-je affirmé en remuant la tête de haut en bas.
Arkadi poussa deux autres cris en direction de mon éditeur russe favori qui répondit par un grognement.
– Taibo ?
Niet, niet, et je secouais la tête.
Alors il sortit une bourse ronde en velours de quinze centimètres et la posa sur la table.
– Paco ?
J’ai répondu :
Da, da.
Arkadi a pris la bourse, me l’a cérémonieusement remise, a serré la main du grogneur et nous sommes sortis triomphants des éditions Nouvelle Nouvelle Russie.
Peu après j’ai découvert que la bourse contenait de l’ambre, et un ambre très beau.
– Il avait des Mushkas, disait Arkadi, et : je regrette c’est ce que j’ai pu lui soutirer de mieux. Il nous offrait six caisses de cognac arménien mais j’ai pensé que ce serait compliqué de l’emmener au Mexique.
Une semaine après j’ai donné la bourse d’ambre à ma mère qui l’a vendue dans sa boutique de vêtements pour enfants et en a tiré cinq mille dollars.
Mais peut-être que la meilleure histoire, c’est celle de mon éditeur-traducteur hindou qui n’était pas hindou mais californien et qui traduisait de l’espagnol mais ne savait pas écrire en espagnol. Mais, celle-là, elle est très compliquée et serait trop longue ici.”


Photo réalisée par Daniel Mordzinski.

1 commentaire:

Pop9 a dit…

Ce vieux Paco m'emballe à chaque fois.