Free Blog Counter

Textes inédits issus du catalogue 30 ans



30 ans
Anne-Marie Métailié



Pourquoi fêter l'anniversaire d'une maison d'édition ? D'abord pour soi, me dit Beatriz de Moura, l'éditeur de Tusquets qui fête ses 40 ans, parce que si on ne le fait pas soi-même personne n'y pensera et que pour parler des livres les médias ont besoin "d'évènements". C'est aussi une occasion de mettre son activité en perspective et de faire un constat de ce qui a changé dans le métier. D'observer les mutations de vocabulaire au fil du temps : on a d'abord été un nouvel éditeur plein de promesses et de surprises ("Vous aidez votre mari?", peu de femmes créaient leur maison en 1979, nous étions deux, Régine Deforges et moi), puis un éditeur courageux (là on se sent condamné à l'oubli et légèrement méprisé) et enfin ces dernières années un éditeur indépendant paré de toutes les qualités, mais harcelé par les banquiers ("Vous dépassez le découvert autorisé. Faites quelque chose !").
Pour soi on est toujours le même, on défend toujours la même idée fixe, faire connaître les livres qu'on aime avec passion, vouloir les faire partager au maximum de lecteurs, ne publier que ce qu'on est prêt à défendre bec et ongles. Un éditeur doit être optimiste même sous des dehors dépressifs et surtout obstiné. C'est la condition pour bâtir un catalogue cohérent.
Le catalogue, c'est la définition de l'éditeur, c'est à travers lui qu'il construit une vision du monde dans laquelle il peut se reconnaître. Comme je dois une de mes plus belles colères à la découverte de la façon dont l'enseignement secondaire parle de l'édition aux lycéens, j'ai décidé d'essayer de montrer ce que pouvait être le métier d'éditeur dans les textes que vous trouverez au fil de ces pages.
Les différents directeurs de collection y expliquent leur travail. j'ai sollicité certains auteurs qui ont une expérience variée des relations éditoriales à travers le monde, puis ces intermédiaires indispensables qui vont de l'auteur au lecteur, nos complices les libraires, ainsi qu'un héros méconnu de cette chaîne, un représentant du diffuseur, qui parcourt un large secteur géographique pour porter jusque chez le libraire les arguments de l'éditeur en faveur de ses auteurs inconnus, ainsi qu'une critique curieuse et attentive du Monde des Livres. Pour ouvrir une perspective internationale et différente j'ai aussi demandé son avis à un agent qui travaille sur l'Amérique latine, les Etats-Unis et l'Europe. Certes ces textes sont extrêmement bienveillants à l'égard de notre travail, mais c'est notre anniversaire.
L'éditeur n'existe pas sans ses auteurs, aux Editions Métailié comme chez de nombreux confrères, ils sont le centre de la maison. Comme parfois pour comprendre une façon de faire rien ne vaut une photo, Daniel Mordzinski m'a offert l'usage des photos qu'il a prises au long des 20 dernières années, les photos d'un grand photographe amoureux de la littérature et des écrivains.
J'ai choisi d'ouvrir sur cette scène drôle : sur une plage des Asturies, le jeu de la corde entre des éditeurs de différents pays et les auteurs qu'ils publient. Pas un affrontement, un jeu entre partenaires dans lequel tous gagnent. Puis un groupe d'éditeurs sous des parapluies à Francfort, nous nous sommes rencontrés parce que nous publions les mêmes auteurs, à vrai dire cela a commencé autour de Luis Sepúlveda, et nous échangeons des informations et des livres, des consolations aussi. C'est également dans ces rencontres amicales que se construisent les catalogues. Ensuite les portraits du groupe se succèdent, j'aime réunir mes auteurs, les présenter les uns aux autres par-dessus pays et continents, ils se parlent, se voient, ils ont des choses à se dire, leurs œuvres si différentes suivent des routes qui tiennent le même cap.
Pour aller dans le sens de ce qu'on enseigne sur l'édition à la jeunesse des écoles : oui, l'argent est important. J'ai découvert ce métier en tant que sociologue en classant les éditeurs en nuages de points selon deux axes : le "pouvoir symbolique" et le "pouvoir économique" et j'ai compris que l'essentiel m'échapperait tant que je serais extérieure, mais j'en ai tiré une idée très claire. Un éditeur ne peut pas être un bon éditeur s'il ne gagne pas d'argent. Il doit être capable de vendre ses livres pour payer les auteurs, pour qu'ils puissent continuer à écrire, il doit faire de bonnes ventes pour pouvoir suivre le travail de ses écrivains, financer la découverte de nouveaux auteurs qui vendront peu, répartir l'argent qu'il gagne avec certains sur des inconnus qui sont l'avenir d'un catalogue, prendre tous les risques. Ce que me cachaient les "axes de pouvoir", c'est que l'éditeur est au service de l'œuvre de ses auteurs. C'est eux qui sont les plus importants.
Alors maintenant quoi ? Un catalogue dont 80% des auteurs étaient inconnus, souvent même dans leur pays quand on les a publiés, et dont beaucoup ont connu la célébrité ensuite parce qu'ils étaient publiés au pays du prix unique, des libraires exceptionnels , des lecteurs impénitents et curieux. Alors quelles perspectives pour la maison ? A l'aube du livre numérique, savoir que l'important c'est le contenu, c'est la littérature, pas le support sur lequel on le lit.
Continuer jusqu'au bout à vivre cette passion de découverte. S'asseoir avec ses auteurs, ces demi-dieux créateurs de mondes, les coudes sur la table pour partager la gourmandise, le vin et les histoires, pousser les chaises pour faire de la place aux nouveaux, les inviter à partager l'amitié et la littérature, et à la fin être toujours un éditeur : mourir de plaisir en lisant!"

Photo réalisée par Daniel Mordzinski.
(Gauche) Les éditeurs : Luigi Brioschi (Guanda), un inconnu, Georges Miressiotis (Opera), AMM, Manuel Valente (Porto Editora), Ray-Güde Mertin (agent)
(Droite) Les auteurs : Mario Delgado-Aparaín, Luis Sepúlveda, Victor Hugo de La Fuente (
Le Monde Diplomatique, Chili), Alfredo Pita, Hernán Rivera Letelier, Ramon Díaz-Eterovic, José Manuel Fajardo, Antonio Sarabia.

Aucun commentaire: