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Textes inédits issus du catalogue 30 ans


Bibliothèque allemande
dirigée par Nicole Bary
Une collection de littérature allemande ?


À l’origine, il y a toujours un coup de coeur, une passion, le désir irrépressible de faire partager un bonheur de lecture, une découverte. Mais il y a ensuite le désir de transmettre un double regard sur la littérature allemande. L’un est lié à l’histoire, l’autre à la langue. La rencontre de l’écriture de fiction et de la mémoire collective et historique est au coeur de la littérature allemande, toutes générations confondues. Pour les raisons historiques que l’on sait, la société allemande s’est construite depuis le milieu du XXe siècle sur une succession de ruptures – ruptures historiques des années 1945, 1949, 1961, 1968, 1989, ruptures est-ouest dans la division, puis la réunification. Plus inséré dans le champ sociopolitique que le roman français, le roman allemand continue à enregistrer les soubresauts des ruptures comme un sismographe. Au début du XXIe siècle, pas plus Christoph Hein que Wolfgang Hilbig, Volker Braun, Angela Krauss, Jochen Jung ou Ruth Schweikert ne s’incrivent dans la démarche que résumait assez bien le propos de Max Frisch, selon lequel les « intellectuels étaient appelés à prêter assistance aux politiques ».

Libérés de la posture élitaire de l’intellectuel déchiffrant le réel pour en trouver le sens, ils appréhendent dans la fiction une réalité humaine et sociétale en pleine transformation depuis vingt ans. Ils explorent les mémoires familiales et les secrets de famille jalousement gardés, revisitent deux pays disparus depuis 1990 qu’ils n’ont parfois même pas connus et qui ne survivent que dans leur imaginaire. Le second regard s’accroche à l’ambiguïté du mot allemand quand il se rapporte à la littérature : la littéra ture allemande, est-ce celle qui s’écrit et s’inscrit à l’intérieur de l’Allemagne ? Ou l’ensemble plus vaste que forme la littérature de langue allemande auquel appartiennent, outre les écrivains allemands, les autrichiens, les suisses, les roumains du Banat et de Transylvanie ainsi que tous ceux qui ont quitté leur pays et leur langue maternelle pour l’allemand, tous ceux qui, à la croisée de plusieurs cultures et de plusieurs langues, ont choisi l’allemand comme langue d’écriture. Cette diversité, qui n’est pas issue d’une relation colonialiste ou post-colonialiste, induit une fascinante relation à la langue. Elle introduit dans l’écriture distance et étrangeté comme le notait, en son temps, Elias Canetti qui n’apprit l’allemand qu’à l’âge de huit ans : « Je ne suis qu’un hôte dans la langue allemande. L’allemand est une langue qui s’est implantée en moi tardivement, douloureusement. C’est pour cette raison qu’elle est devenue la langue de ma prose littéraire, parce qu’elle est toujours restée pour moi entourée d’une aura d’étrangeté qui charge les mots d’une passion tout à fait particulière. »
À l’époque des retours identitaires, des déracinements, de l’effacement des frontières et du métissage des cultures et des langues, à l’époque de la cyberculture, les écrivains sont d’une grande mobilité qui n’est plus nécessairement vécue comme un exil, ni comme une émigration politique, sociale, économique, mais comme un déplacement fait d’allées et venues, d’allers et de retours, de « diasporisations » transversales et plurielles. C’est dans cette optique que la Bibliothèque allemande publie Saïd, Herta Müller, Sherko Fatah et Galsan Tschinag. Passeurs et passeuses de frontières, leur écriture est habitée par les langues de leur enfance, par leurs rythmes, leurs métaphores et leurs images. Elle distord et enrichit la langue qui la reçoit. Sans doute l’allemand, du fait de sa capacité structurelle à la construction et à la déconstruction, saitil accueillir leur parole dans son étrangeté, leur « être entre-deux-mondes » (Ette) qui fait leur originalité. Ces regards privilégiés sur le champ littéraire allemand n’excluent pas d’autres choix à venir. De nouveaux auteurs rejoindront les « anciens ». Ils ouvriront la voie vers de nouveaux horizons.”




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